mercredi 13 mai 2015

La promotion de Magali

La promotion de Magali
Magali vit Etienne lever le regard de son ordinateur et lui sourire. Elle  lui fit un petit geste de la main ; il se leva et ils se dirigèrent ensemble vers la machine à café. Comme d’habitude leur conversation glissa d’un sujet à l’autre sur des thèmes qui n’étaient pas exclusivement professionnels. Ils travaillaient ensemble depuis à peine un an, mais Etienne n’arrivait plus à se souvenir qu’il ait eu une vie professionnelle avant Magali. Elle  était la première personne qu’il  ait recrutée suivant son propre choix. Il avait eu ce que l’on appelle un « coup de cœur » pour cette jolie blonde réservée, mais pleine d’une calme assurance. Elle avait le don de le  rassurer, lui  qui cachait soigneusement son caractère anxieux et perfectionniste.
Tout à sa volonté de tout réussir, y compris ses recrutements, Etienne avait consacré beaucoup d’énergie à former Magali, sa cadette de quatre ans .Il  l’avait accueillie dans l’entreprise et avait tout fait pour assurer sa réussite. C’était un garçon charmant, bourré de talents et imprégné de l’esprit maison. Il faisait partie du vivier des cadres à haut potentiel du groupe. Doté d’un excellent esprit d’équipe, il n’hésitait jamais à prendre de son temps pour aider un collègue en difficulté. Taillable et corvéable à merci, il était volontaire pour toutes les missions exceptionnelles qu’on pouvait lui confier. Il avait préparé à l’attention de Magali un programme de formation complet et avait consacré beaucoup de temps à lui expliquer les rouages de l’entreprise.
En contrepartie, elle lui avait apporté son calme, son recul et quelques idées originales, qu’il s’était approprié sans même s’en rendre compte. Au fil du temps, elle lui était devenue indispensable et il considérait la réciproque comme vraie.  
A la machine à café,  un petit groupe  excité s’était formé. La bruit  du départ du Directeur Général, Valentin Laguigne, courait depuis déjà un certain temps, ce qui ne faisait pas les affaires d’Etienne. Il avait  travaillé dur pour acquérir la confiance du partant et l’idée de recommencer avec un nouveau ne l’enthousiasmait pas.
La rumeur courait précisément  sur le nom du remplaçant qui s’avérait devoir être une remplaçante. Stéphanie Lapoigne, ancienne directrice commerciale, qui avait fait une mobilité au sein du groupe, tenait la corde des pronostics.
C’est formidable couinaient les filles, la cause féministe gagne du terrain !!! Les hommes étaient plus réservés mais faisaient mine d’avoir l’esprit ouvert. Peu importe, si c’est la meilleure, disaient-ils, tout en pensant le contraire.
Magali, priée de s’exprimer sur le sujet, fit mine de se joindre au clan des filles. En réalité, la cause lui était totalement indifférente et elle  n’avait pas une  once de féminisme, incapable qu’elle était de s’identifier à un groupe quel qu’il fut. Le fait que le directeur général soit un homme ou une femme l’indifférait au plus haut point, dans la stricte mesure où il était encore trop tôt pour qu’elle puisse postuler à pareille fonction.
Lorsqu’ils regagnèrent leurs places, Magali passant derrière le bureau d’Etienne, remarqua une fois de plus le post-it, avec les codes d’accès informatique,  collé en bas de l’écran. Son regard s’attarda pensivement sur la photo de l’épouse  et des deux enfants d’Etienne, une jolie brune et deux poupons joufflus. La façon niaise qu’avait Etienne de regarder cette photo restait pour elle un profond mystère.  
Pour son premier job, Magali avait été ravie d’avoir pour patron un garçon brillant, à peine plus vieux qu’elle, et lancé sur la voie de la réussite. Doté d’une forte capacité de travail et d’une excellent mémoire, il emmagasinait tout ce qu’il lisait, entendait ou voyait. Il avait appris  à habiller tous ses écrits et toutes ses paroles de l’esprit maison, qui se voulait entreprenant et conquérant. Il y avait un jargon maison, un comportement maison, faussement décontracté, et même un code vestimentaire qu’il respectait à la lettre. Il avait porté assez longtemps la cravate au logo de l’entreprise, qui avait été distribuée pour l’anniversaire des vingt ans de sa création. Il était avenant sans être beau et intelligent sans l’être trop.
Les rumeurs se révélèrent exactes et Stéphanie Lapoigne fut nommée Directrice Général au conseil d’administration du lundi suivant. Son prédécesseur fut prié de vider les lieux dans la semaine. Etienne évita de le croiser de peur de compromettre son image. Magali, dont l’opportunisme était plus fin, vint l’aider à faire ses cartons. A cinquante ans, il était loin d’être fini et pouvait tout à fait rebondir ailleurs. On se souvient davantage des soutiens dans l’adversité que des félicitations dans le succès. Au pire, se disait Magali, j’aurai perdu quelques  heures de ma vie à faire des cartons. Lorsque le partant partit, il vint faire  des adieux émus à Magali, qu’il avait assez peu remarquée du temps de son règne.
Stéphanie Lapoigne prit ses fonctions à bras le corps. Les ventes avaient fléchi et elle avait été nommée pour redresser la situation.
Elle décida de lancer le plan « Ambition 2030 » et de fixer un objectif de progression des ventes de 30% et de la marge de 40%. Arrivé à ce stade, elle considéra qu’elle avait fait sa part de travail et qu’elle pouvait laisser à ses collaborateurs le soin de régler les modalités pratiques d’atteinte de ces objectifs.
Les vieux briscards de l’entreprise se firent discrets. L’unanimité se fit pour proposer le nom d’Etienne pour coordonner l’opération. Sa nomination fut d’autant plus facile qu’il était volontaire pour tout.
De son côté, Magali se trouvait confrontée à une situation inédite, avec le sentiment qu’une opportunité pouvait s’ouvrir, sans savoir exactement comment la saisir. Elle se renseigna discrètement  sur les habitudes de la nouvelle venue. Imperceptiblement  elle cala son rythme sur le sien, ce qui la conduisit à la croiser le matin à l’arrivée, souvent au café et à l’occasion aux toilettes. Ce devint un jeu et progressivement Stéphanie apprit à situer la place de Magali dans l’organisation générale. Elles échangèrent quelques plaisanteries, puis quelques idées semées de-ci de-là. Magali fit, à l’occasion de ces échanges matinaux, quelques remarques pertinentes qui se révélèrent utiles pour la prise de fonction de son interlocutrice. Ses idées, contrairement à celles d’Etienne étaient toujours originales et elle se garda bien de les faire connaitre de qui que ce soit d’autre que de Stéphanie, afin que l’on ne puisse pas identifier leur source. Ainsi disparut, victime collatérale de l’ambition de Magali, Georges Lambrouille, directeur de la coordination, surtout connu pour être le spécialiste de la zizanie. Il expiait ainsi le mauvais accueil qu’il lui avait réservé  à son  arrivée.
Lorsqu’Etienne revint de l’entretien qu’il avait eu avec la directrice générale et au cours duquel il s’était vu confier la coordination du projet « Ambition 2030 », son premier réflexe fut d’aller partager sa joie avec Magali, qui ne ménagea pas ses encouragements. Etienne entraina Magali dans une salle de réunion et ils commencèrent à échafauder des plans. Malgré ses capacités de réflexion, Magali était trop jeune et inexpérimentée pour percevoir le caractère périlleux de l’entreprise qui avait été confiée à Etienne. Il ne leur fallut pas longtemps pour poser le diagnostic, qui était d’ailleurs connu de tous. La restriction des budgets de recherche et de développement avait entrainé un vieillissement de la gamme et la révision à la baisse de l’intéressement des commerciaux avait découragé la force de vente.

Trois semaines plus tard
Ce soir- là, Magali sortit du bureau totalement éreintée. Elle avait travaillé comme une forcenée sur le plan « Ambition 2030 » et sa première ébauche  prenait forme. L’ayant à peine remerciée, Etienne lui avait signifié qu’il n’avait plus besoin d’elle à ce stade du projet. Les éléments techniques étant posés, il arrivait au stade de son travail où il excellait. Il fallait tout mettre en forme et habiller le projet de l’esprit maison.
Habituée à ce mode de travail, Magali s’était retirée et avait quitté le bureau un peu plus tôt que d’habitude. Sa vie sociale avait un peu pâti de son rythme de travail des dernières semaines, mais elle évita d’appeler qui que ce soit. Elle se garda bien également  de rentrer directement chez elle. Arrivée dans une rue colorée de Paris, elle décida de commencer par un peu de détente. Elle repéra un petit restaurant marocain sur lequel elle jeta son dévolu. Pour une fois, elle décida de se lâcher et se commanda un couscous brochette, accompagné d’une demi- bouteille de gris de Boulaouane. Il était encore tôt   et elle était seule cliente dans le restaurant. Le patron la vit  engouffrer son couscous, se resservir deux fois et descendre la demi- bouteille de vin. A la fin du repas, Magali sentait une douce chaleur l’envahir. Elle était  toute revigorée et, un double café bu, elle était prêt à attaquer la deuxième partie de sa soirée.
Sortant du restaurant, elle se dirigea vers un ciber-café qu’elle avait préalablement repéré. Elle paya en liquide pour deux heures d’utilisation d’un poste internet. Il lui fallut moins d’une heure pour boucler l’opération. Elle commença par les sites X et visionna quelques images assez crues, qu’elle enregistra sur une clé USB neuve, achetée pour l’occasion. Satisfaite, elle poursuivit ses recherches jusqu’à atteindre un site pédophile. Elle  sourit de contentement  lorsqu’elle tomba sur une série de vues qui représentaient des enfants de cinq à six ans en position scabreuse avec des adultes libidineux. Elle chargea tout sur sa clé USB et nota  soigneusement les chemins d’accès qu’elle avait utilisés. La tâche avait été plus facile que prévu. Elle s’en indigna un peu, mais pas trop et rentra chez elle avec le sentiment du devoir accompli.
 Une semaine plus tard
Etienne  releva la tête de son ordinateur, se leva et s’étira avec satisfaction. Son intervention devant le comité de direction du lendemain était prête à temps. Il  n’était pas un improvisateur et savait que c’était son point faible ; il devait avancer sur des rails bien tracés et ne pas s’écarter de sa présentation. Il était satisfait de son travail mais gardait malgré tout un fond d’inquiétude ; on ne lui avait jamais confié un dossier d’une telle importance.
Se trouvant seule avec lui, Magali s’inquiéta maternellement de sa mauvaise mine. Tu as une tête de déterré lui dit-elle, Prend garde à ta santé. Il en rit et la rassura. Elle lui proposa de relire sa présentation pour vérifier qu’il n’y ait pas de coquille et, comme prévu, il refusa. Il ne montrait jamais une présentation à l’avance, pour ne pas laisser  à un éventuel contradicteur le loisir de trouver une faille dans son raisonnement. Invité au comité de direction pour la première fois, il n’avait pas dérogé à son principe, malgré l’usage qui voulait que les documents parviennent aux participants  au moins deux jours avant la réunion. C’était clairement une première faute et Magali, malgré son manque d’expérience, l’en avait prévenu. Sans surprise, il avait balayé sa remarque d’un revers de main.
Vers quinze heures, il y eut un creux et Magali se retrouva seule dans l’open-space. Elle mit à profit le temps dont elle disposait.
le lendemain   
Le comité de direction s’étendait sur toute la matinée. Magali alla faire le tour de quelques bureaux. Elle s’attarda auprès de la secrétaire du directeur marketing et lui fit part incidemment de son inquiétude sur la santé d’Etienne. Le soir même la totalité de l’entreprise était convaincue que ce dernier était frappé d’un cancer incurable et que son pronostic vital était engagé.
Le comité de direction ne se termina qu’à Treize heure. Magali était partie déjeuner. A son retour elle trouva Etienne prostré, le regard fixe sur son ordinateur. Elle l’entraina dans une petite salle de réunion et l’écouta avec attention, comme elle savait si bien le faire.
La première partie de la présentation d’Etienne s’était déroulée ans un silence glacial, mais sans incident majeur. Les choses s’étaient gâtées en abordant la partie budgétaire. Le directeur financier, Jean Lafouine,  avait commencé à soulever quelques contradictions notables entre les différents tableaux présentés par Etienne et il s’en était suivi une véritable curée. Valentin Duvent, le directeur commercial, notamment,  s’était livré à une critique acharnée des idées innovantes  avancées par Etienne, qui étaient en grande partie celles de Magali. Fort heureusement Etienne ne s’en souvenait plus et  croyait sincèrement qu’il s’agissait des  siennes. Même le directeur de la production, Robert Lancien, qui avait pourtant des relations amicales avec l’équipe d’Etienne, s’était joint à la curée.
Ma carrière est ruinée, gémissait Etienne. J’avais pourtant bien vérifié mon travail, j’étais certain sur que tout concordait et en fait c’était bourré de coquilles. Je t’avais proposé de relire, lui rappela Magali. Tu es trop fatigué, tu m’inquiètes lui dit-elle gentiment, fais attention à ta santé. Elle  tenta de le rassurer : tu as perdu une bataille, pas la guerre !
L’après- midi, en passant aux toilettes au bon moment, Magali se trouva confrontée à une épreuve qu’elle n’avait pas attendue. Tandis qu’elle se lavait  les mains à côté de Stéphanie, celle-ci la cueillit à froid et lui demanda ce qu’elle pensait des idées qui figuraient dans la présentation d’Etienne. Magali eut moins de trois secondes pour réfléchir à sa réponse. Elle fit le bon choix. J’ai participé au travail dit-elle, je suis d’accord avec les idées qu’il contient et en plus, se permit-elle de rajouter, certaines sont de moi.
Stéphanie la regarda dans les yeux et lui dit : Soyez solide, je compte sur vous !
Magali prit pour une promesse d’avenir un propos qui n’engageait à rien. Elle rejoignit son bureau regonflée à bloc, ce qui était bien l’objectif de Stéphanie. 
Le lendemain, Etienne était convoqué par  cette dernière. Magali guetta son retour et, contre toute attente,  il revint rasséréné. Stéphanie l’avait bien accueilli et lui avait fait des compliments sur un travail qui restait bon, malgré l’attaque générale  dont il avait fait l’objet. Elle lui demandait de le reprendre, en intégrant les idées avancées par les différents directeurs et en collaboration avec eux.
Quatre  mois plus tard
Etienne était éreinté, les derniers mois  s’étaient révélés épouvantables. Il était repassé au moins dix fois devant le comité de direction et avait travaillé comme un forcené. Toutes ses  présentations comportaient des coquilles que Jean Lafouine relevait avec délectation. Il en était venu à douter de lui, mais continuait à laisser se codes informatiques en évidence au bas de  sur son écran.
Durant cette période, de nombreux collègues s’étaient inquiétés de sa santé, ce qui avait fini par le troubler, et par perturber  son sommeil. Il n’en fut que plus fatigué et s’en ouvrit à son médecin de famille. Celui-ci ne trouva rien d’anormal mais, comme il était en relation avec le directeur d’une clinique spécialisée en diagnostics généralisés, il l’envoya passer une série d’examens. Etienne dut prendre plusieurs rendez-vous, naturellement en cours de journée. La clinique manquait d’activité. Etienne se vit prescrire une série d’examens complémentaires, dont un scanner du cerveau.
Naturellement il racontait ces différentes démarches à Magali, qui lui répondait sur un ton de compassion qui lui glaçait le sang. Il n’en dormit que plus mal et se trouva de plus en plus fatigué, ce qui le conduisit à d’autant plus d’examens complémentaires.
Sur le front interne le comité de direction ne lui fit pas de cadeau. La meute ayant senti la faiblesse sous l’apparente assurance, le malmena de plus en plus durement  à chaque séance. Il finit par commettre la faiblesse de se faire accompagner par Magali pour ces rencontres. A court terme ce fut efficace, les coquilles disparurent comme par enchantement et la meute eut un peu plus de retenue avec Magali, pour laquelle tous avaient de la sympathie. Elle sut se tenir à sa place et ne prit jamais la parole qu’à la demande d’Etienne.
Stéphanie de son côté se maintenait en position d’arbitre et ne se portait au secours d’Etienne qu’en cas de stricte nécessité. A chaque critique, elle imposait que le contradicteur apporte une idée de substitution.
 Ce faisant, de critique en critique, le projet de plan « Ambition 2030 » ne faisait que s’améliorer de l’apport de chacun et  commençait à prendre forme. La fin des travaux approchait et il était prévu de  présenter le projet   à la direction du groupe et à la convention  annuelle de l’entreprise, qui se tenait traditionnellement fin octobre.
Etienne entrevit la fin de son calvaire et, malgré les divers examens qu’il subissait, commença à se rasséréner. Son sommeil s’améliora et il entra dans une période de convalescence. La qualité du dossier final fit taire les critiques et il reprit confiance dans l’avenir, ce qui ne faisait pas les affaires de Magali.
Quatre jours après
Ce matin- là trois courriers signés de Georges Lambrouille, dont on a vu ci-dessus qu’il était l’ancien directeur de la coordination,  parvinrent respectivement à l’épouse d’Etienne, à Stéphanie Lapoigne et au responsable de la sécurité informatique, Stéphane Scanner.
Le courrier à l’attention de l’épouse d’Etienne comportait trois photos d’enfants, de l’âge des siens, dans des positions abominables avec des adultes. Un seul commentaire : « Chère Madame, voici quelques photos tirées de la collection privée de votre mari ». Son sang ne fit qu’un tour.
Les courriers à l’attention de Stéphanie et du responsable de la sécurité étaient plus subtils et conseillaient de procéder à certaines investigations. Stéphanie fut tentée de jeter le sien à la corbeille. Elle n’eut pas le temps, Stéphane Scanner avait immédiatement procédé à des vérifications et était tombé sur des consultations effectuées à partir du poste d’Etienne. Ses vérifications  le menèrent rapidement sur des sites pédophiles. Stéphanie n’avait pas eu le temps de réfléchir à la réaction appropriée à la situation, que déjà une  collection d’images scabreuse était découverte sur le poste de travail d’Etienne. Stéphane Scanner  s’empressa de faire part de sa découverte à Stéphanie, qui n’eut pas d’autre solution que de réagir immédiatement.
Les faits étant avérés, on en oublia d’en vérifier la source. Il était de notoriété publique qu’Etienne entretenait les plus mauvaises relations avec Georges Lambrouille et l’idée d’une vengeance parut assez évidente à toutes les personnes impliquées dans le dossier. La signature, du reste, était remarquablement bien imitée, du bel ouvrage.
Etienne fut convoqué chez Stéphanie avec la DRH, Angéline Lamorale. Toutes deux avaient deux enfants chacune et  elles ne furent pas tendre. Comme tous les innocents, Etienne sut fort mal se défendre et, à la fin de l’entretien, il eut le choix entre se démettre ou être poursuivi en justice. Dans l’affolement il signa tous les papiers que les deux femmes lui tendirent et se retrouva dehors sans avoir vraiment compris ce qui lui était arrivé.
Un mois après
Magali assurait l’intérim d’Etienne et travaillait comme une forcenée, totalement décidée à faire en sorte que l’intérim devint permanent. Elle avait calculé l’augmentation qu’elle pourrait demander et avait déjà dépensé le triple en projets.
Les dossiers pour le comité de groupe et pour la convention annuelle étaient prêts. Les dates de ces instances paraissaient fatidiques à Magali. Il est impossible de trouver un remplaçant à Etienne dans les délais et, si c’est moi qui assure les échéances, ils n’auront pas d’autre choix que de me nommer, pensait-elle.
Lorsque la secrétaire de Stéphanie vint la trouver  pour lui fixer un rendez-vous, Magali jubila. Le caractère formel de la prise de rendez-vous  était inhabituel et reflétait bien le caractère officiel de cette rencontre. A l’accoutumé un simple appel suffisait.
Magali se prépara à l’entretien avec le plus grand soin. Elle établit son argumentaire pour obtenir l’augmentation la plus élevée possible. S’enflammant toute seule, elle en vint à se préparer à faire une  demande exorbitante.
La veille de son rendez-vous avec Stéphanie, en sortant du bureau, Magali se rendit au rendez-vous qu’elle avait avec Etienne. Il était ravagé. Non seulement il avait perdu son travail du jour au lendemain, mais en plus sa femme n’avait pas voulu entendre ses explications sur son licenciement. Il s’était retrouvé à la rue,  avec une simple valise et engagé dans une procédure de  divorce orageuse,  avec la perspective de la déchéance paternelle.   Magali le rencontrait toutes les semaines et elle était la seule, et pour cause, à croire à son innocence.
N’ayant pas eu connaissance des courriers signés de Georges Lambrouille, il gémissait : mais qui donc a pu me faire un coup pareil ?  Stéphanie se garda bien de l’éclairer sur le sujet et, avec adresse, l’orienta vers l’avenir. Elle était très habile manipulatrice et Etienne lui vouait une immense confiance. Semaine après semaine, elle réussissait à le tirer de sa léthargie des premiers jours. En le quittant, elle avait un sourire de satisfaction sur le travail qu’elle accomplissait pour lui redonner un nouveau souffle. Il est trop jeune pour ne pas pouvoir rebondir, se disait-elle. Il pourra toujours me resservir, avec tout ce qu’il me doit ! 
Un instant l’idée d’y être allé un peu trop fort lui traversa l’esprit, Elle la chassa bien vite. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs se dit-elle. L’objectif valait bien un petit sacrifice.
Le lendemain
En entrant dans le bureau de Stéphanie, Magali était totalement sûre de son triomphe. Ses espoirs s’effondrèrent en une fraction de seconde. La directrice générale était assise à sa table de réunion en compagnie d’une femme d’une quarantaine d’année très élégante et très assurée. Avant même que la première parole ne fut échangée, Magali eut l’impression que le ciel lui tombait sur la tête.
Je fais les présentations, dit Stéphanie. Carole, voici ton adjointe. Elle a participé à tous les travaux de notre plan d’action. Tu pourras totalement t’appuyer sur elle. Magali, vous avez été très courageuse et vous avez très bien assuré l’intérim d’Etienne. Voici enfin sa remplaçante. Vous allez pouvoir souffler. Je compte sur vous pour l’aider à réussir.
Magali suivit le reste de l’entretien dans un état second. Elle ne se souvint même plus de quoi il avait bien pu être question. Après une vingtaine de minutes, Stéphanie la libéra. Magali sortit et laissa les deux femmes en pleine   conversation. La seule chose qu’elle nota était qu’elles se tutoyaient.             
Sortant du bureau de Stéphanie, elle passa devant celui  de Robert Lancien qui, voyant sa mine atterrée, la fit entrer. Il  referma sa porte et la fit assoir.
Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’un ton paternel.
Magali lui raconta tout ce qui était avouable. Il l’écoutait avec un sourire entendu.
Rien d’étonnant dit-il, Carole est l’âme damnée de Stéphanie. Elle la suit de peu dans toutes ses affectations.
Mais pourquoi n’est-elle pas arrivée plus tôt ? demanda naïvement Magali.
Il fallait qu’une place se libère, lui répondit Robert. Il aurait été trop dangereux de la mettre sur le poste d’Etienne tout de suite. Personne n’aurait compris qu’on le débarque pour placer quelqu’un. Etienne  s’est usé sur le projet de plan stratégique et maintenant Carole arrive avec un dossier servi sur un plateau d’argent.
Magali ne comprenait pas. Mais, bafouilla-t-elle, Etienne ne serait pas parti, s’il n’y avait pas eu cette malencontreuse affaire ?
Mais si ! répondit Robert en riant. L’affaire est tombée au bon moment pour Stéphanie, mais de toutes les manières Etienne était condamné depuis le début. Pourquoi crois-tu que personne ne lui a disputé le dossier ? lui demanda-t-il.
Magali sonnée retourna vers son bureau. Tout ça pour ça, se dit-elle, découragée.
Elle s’assit à sa table et resta ainsi, les yeux fixes, durant tout le reste de l’après-midi. Elle ne vit pas passer l’heure et fut tirée de sa léthargie par la sonnerie du téléphone. Elle fut tentée de ne pas répondre, mais voyant que c’était un numéro extérieur inconnu qui l’appelait, elle décrocha par curiosité et entendit :
-          Valentin Laguigne à l’appareil, votre ancien Directeur Général, vous souvenez vous de moi ?
-          Mais bien-sûr, monsieur, répondit Stéphanie chaleureusement.
-          Voici, mademoiselle, je vais être rapide. Je viens de prendre la présidence de la Compagnie Générale Spécialisée, je constitue mon équipe et je cherche de jeunes talents. Accepteriez-vous que nous nous rencontrions rapidement ?
-          Mais, bien évidemment, répondit Magali avec enthousiasme et le rendez-vous fut pris pour le lundi de la semaine suivante.

En raccrochant, Magali resta un long moment la main sur le combiné. Enfin un peu de morale se dit-elle. Je commençais à ne plus croire en la justice.      

lundi 6 avril 2015

Le retour

Je suis rentré de Puerto Natales à Punta Arena, puis de là à Santiago et enfin à Paris, via Madrid.

La route de Puerto Natales à Punta Arena, 250 kilomètres, est tracée toute droite à travers la pampa. De part et autre des immensités d'herbe jaune, en fond de décor la sierra enneigée et la route qui se perd au fond de l'horizon. Quelques troupeaux de moutons ou de vaches parsemés ici ou là.

Le car roule précisément à 99 km/h. Dans tous les cars de ligne chiliens un tableau d'affichage indique en permanence la vitesse et le nom du chauffeur. Les passagers sont invités à la délation si le car roule trop vite.

De temps en temps un arrêt en rase campagne. Un passager monte ou descend au milieu de nulle part.
La route s'appelle "route du bout du monde". Les villages sont rares, peut-être trois ou quatre sur tout le trajet, juste quelques maisons sur le bord de la route.

Le car a été arrêté par un immense troupeau de moutons qui traversait la route. Les ganaderos à cheval, vestes à carreaux, chapeaux de cow-boys (ce qu'ils sont) et bottes à éperons pressent les bêtes, qui protestent, à accélérer le pas.

Lorsque l'avion a décollé de Santiago, il s'est dirigé vers le nord-est et a survolé la cordillère des Andes. On ne pouvait pas rêver plus belle vision pour terminer le voyage.        

mercredi 1 avril 2015

Moeurs chiliennes

Lorsque deux chiliens se rencontrent, entre femmes ou entre femmes et hommes, ils s'embrassent : un seul baiser sur la joue droite. Si, emporté par l'habitude française vous voulez en coller un deuxième, la dame sursaute, mais vous pardonne en tant qu'étranger. Les hommes entre eux  s'embrassent plus rarement et se serrent la main.
Pour une démonstration d'affection plus grande, il existe l'abrazo, qui ressemble à l'accolade en plus énergique. L'abrazo se pratique également entre hommes. On se prend dans les bras l'un de l'autre et on se tape sur les épaules. Attention si vous faites un abrazo à  une femme, il ne faut pas taper trop fort pour ne pas faire sauter le dentier. De même les mains restent au niveau des épaules, sinon on change de catégorie et ce n'est plus un abrazo.
Les chiliens sont très tactiles et aiment toucher. Lorsqu'un homme vous prend en sympathie il peut vous faire des tapes sur l'épaule. Lorsque la sympathie est forte les claques sur l'épaule peuvent devenir répétitives et un peu pesantes.
Les femmes touchent principalement le bras mais aussi le cou, le front, le crane. Elles se limitent cependant aux parties hautes du corps. Le toucher sert à accentuer une affirmation ou à marquer la satisfaction. Si vous avez commandé un jus d'orange à la serveuse et qu'elle réussit à vous convaincre que le papaye est bien mieux parce que c'est tout ce qui lui reste, elle peut marquer sa satisfaction en vous serrant vigoureusement le bras, ce qui surprend au début.
Les chiliens aiment rendre service. Lorsque vous demandez une information, ils sont très déçus s'ils ne peuvent pas vous apporter la réponse. Eventuellement ils peuvent aller la chercher auprès de quelqu'un d'autre et il n'est pas rare d'être rappelé par la personne à qui vous avez posé une question et qui a fini par trouver   la réponse. Dans certains cas, une question peut déclencher un petit attroupement. Il m'est même arrivé, à Constitucion, qu'une gentille épicière ait voulu aller chercher le grand-père pour trouver la réponse.
Les chiliens en général aiment la France et dire qu'on est français permet de s'attirer la sympathie. Ils ont une haute idée de notre pays et particulièrement de son  système social. Si vous dites que vous habitez Paris, les yeux brillent et le mot "fiesta" arrive assez  vite.      

Fjord de l'ultime espérance

Le détroit de Magellan a permis aux navigateurs de passer de l'Atlantique au Pacifique sans avoir à descendre jusqu'au cap de Bonne Espérance, dont le passage est particulièrement dangereux. Le mot "détroit" ne donne cependant pas une image exacte de la réalité. La région est parsemée de lacs, de bras de mer, d'îles et de fjords, qui font que la difficulté des navigateurs a été de trouver une route dans un dédale inextricable.
Magellan a trouvé la route d'est en ouest en 1540. Ce que j'ignorais totalement (et vous aussi sans doute), c'est qu'il a fallu dix -sept ans pour trouve la route inverse du Pacifique à l'Atlantique. La découverte a été faite par le navigateur Juan Ladrillero qui, ici au Chili, est considéré comme le co-découvreur du détroit de Magellan.
La méthode, naturellement, consistait à remonter les bras de mer, jusqu'à trouver celui qui mènerait de l'autre côté. Au cours de l'une de ses expéditions, Juan Ladrillero s'est engagé dans un fjord en disant que c'était son ultime chance de découvrir le passage tant recherché, d'où le nom "fjordo de la ultima esperanza". Ce n'était d'ailleurs pas exact, puisque au fond du fjord Juan Ladrillero n'a trouvé qu'un glacier tombant dans la mer, et qu'il a tout de même découvert plus tard la voie  vers l'Atlantique.
Bien plus tard, au dix-neuvième siècle les chiliens ont entrepris d'occuper progressivement les territoires des maputes (ou auricanes) en attirant des colons européens auxquels ils attribuaient généreusement des terres immenses. Dans la région les immigrants ont été, vers 1890, originaires principalement de Grande-Bretagne et d'Allemagne. Les premières estancias ont été créées  le long du fjord de l'ultime espérance.
J'ai fait hier une croisière de Puerto Natales jusqu'au fjord. Au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans ce bras de mer les rives se rapprochent. Autour, des montagnes aux sommets enneigés, jusqu'à arriver au glacier, qui maintenant ne descend plus jusqu'à la mer, réchauffement climatique oblige. Nous avons fait escale pour aller voir un autre glacier,qui lui tombe dans un lac. En cours de route, colonie de phoques. La côte est une falaise et ils se logent dans des cavités naturelles creusées dans la roche. Pour accéder à leur refuge ils doivent sauter bien à deux mètres de hauteur, superbe.

 





     

lundi 30 mars 2015

Patagonie

La Patagonie est dans le grand sud du Chili, à côté du détroit de Magellan. C'est une terre à Estancias (ranchs) immenses, qui peuvent atteindre 50 000 hectares, c'est à dire vingt kilomètres sur vingt-cinq, et qui pratiquent, bien sur, l'élevage extensif.
La Patagonie n'a été colonisée qu'à partir de 1890 à cause, ou grâce (selon le point de vue) aux maputes, Les chiliens ont passé des contrats pour faire venir des européens, principalement allemands et anglais, dans la région.
Le parc de Torres del Paine a été créé en 1909 et les chiliens ont exproprié des estancias pour pouvoir lui donner une taille suffisante. La région est une vaste pampa, parsemée de lacs et entourée de sierras. L'herbe de la pampa est souvent jaune, non pas par manque de pluie, mais parce que c'est sa couleur naturelle. Les sommets sont couverts de neige et j'ai vu mon premier iceberg sur un lac,petit pour un iceberg, gros pour un glaçon. Il ne fait pas très froid, mais le vent est très fort : le coupe vent, le bonnet et les gants sont ressortis de la valise, dans laquelle ils se morfondaient.
Les animaux se laissent voir sans cabotinage. J'ai retrouvé mes vigognes qui courent avec une grande élégance, mais aussi des condors et un renard (zorro en espagnol). Il parait qu'on peut voir des pumas et que ce n'est pas dangereux. Ils n'aiment pas la chair humaine. Je me dis qu'ils doivent bien réessayer de temps en temps pour vérifier qu'ils n'aiment toujours pas.
Puerto Natales, où je séjourne est une petite ville bâtie sur le modèle immuable des villes de l'ancien empire espagnol. Une fois que vous avez repéré la plaza des armas, tout est trouvé. Sur le côté opposé à l'église, la banque d'état, où on peut retirer du liquide !!!  Du nord au sud du Chili, au delà du plan des villes, il y a finalement une assez grande homogénéité du style d'habitat. Je ne connais pas assez l'Amérique du sud pour savoir si c'est spécifique au Chili ou généralisable à d'autres pays.

                                                                Un zorro (renard)

Les deux gros oiseaux sont des condors (celui de gauche est un jeune, celui de droite un adulte (ne me demandez pas pourquoi !!)




                                                            Le paysage de pampa

                                                            Moi et un glaçon


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jeudi 26 mars 2015

Ile de Pâques(suite)

Je comptais terminer mon séjour sur l'ile de Pâques par une partie de plage à Anakena, qui est à l'opposé de Hanga Roa, où je séjourne. Pour vingt-cinq euros un taxi vous amène et vient vous chercher à l'heure que vous voulez.
A peine sortis d'Hanga Roa, nous sommes tombés sur un barrage routier Le mouvement indépendantiste pascuan a fait bloquer toutes les routes, ce qui ne va pas chercher bien loin d'ailleurs.
Comme les indépendantiste pascuans sont largement plus sympathiques que leurs équivalents corses, ils prennent soin d'expliquer aux touristes que ce n'est pas à eux qu'ils en veulent mais à la présidente Bachelet  (l'équivalent Hollande à peu près aussi populaire). Le résultat est le même, mais on se sent mieux !!!
J'ai essayé de parlementer avec une passionaria locale en lui expliquant qu'elle me faisait rater la dernière occasion de ma vie de voir la plage d'Anakena.
Elle m'a répondu très intelligemment en m'invitant à prendre un peu de recul dans l'existence . Au bout d'un quart d'heure, on s'embrassait presque !!
J'ai fini par me baigner dans les rochers prêt de mon hôtel histoire de pouvoir dire que j'ai écumé le Pacifique.
Sur les photos ci-après : un paysage pour les couleurs, les îles des hommes oiseaux prises du haut de la falaise qu'il fallait descendre et enfin l'intérieur de l"église où les statues sont en style moais


Photos de l'île de Pâques

La plage Anakena, la plus grande et la plus belle des deux de l'île